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The Armor 13

   J'étais là bêtement penchée sur les pâtes en train de cuire, à me demander si je n'avais pas rêvé tout haut, si tout cela était bien arrivé. Je me dis que oui, certainement, car mon bracelet avait l'air tout terne et surtout il y avait des zébrures déteintes qui rappelaient l'espèce d'acide que j'avais reçu. 
   Mon dieu, qu'est-ce que j'allais pouvoir faire de tout ça ? Comment aborder le sujet avec mon homme : quoi, tu risques ta vie et tu n'es même pas payée, et c'est qui d'abord ces types ?... Ça allait être la cata, c'était couru d'avance... En même temps, j'étais incapable de garder un secret qui me concerne, en fait, j'étais trop contente. Même, j'étais vraiment très fière de moi : je ne m'étais pas enfuie, ni évanouie, je n'avais pas vomi, ni crié comme une fillette. Bon je n'avais pas tout compris aux combats, moi j'étais du genre à chercher la balle lors d'un match, toujours en retard sur l'action ; mais tout ça, ça se travaille, enfin, si j'avais vraiment envie de continuer...
   Mon mari rentra, il était préoccupé par son travail et pressé de manger pour aller à son deuxième travail la mairie, il me dit beaucoup de choses que j'écoutais d'une oreille et il finit par :
- "Tu as une mine de papier mâché, qu'est-ce qu'il t'arrive ?"
- "Je ne sais pas trop comment te dire ça, je ne sais pas trop si tu vas aimer ce que tu vas entendre, mais il faut bien que je te le dise... Voilà, j'ai trouvé une pierre sur le chemin de balade avec les enfants et elle s'est transformé en bracelet et en fait, c'est une armure."
Il leva les yeux de son assiette et me dit "hein ? une quoi ?"
- "Le mieux, c'est encore que je te montre" dis-je avant de l'activer.
Il en lâcha sa fourchette.

The armor 12

   C'était une bête immonde, un croisement entre Jabba le Hutt et Alien. Deux fois plus grande que ses congénères, visqueuse à souhait, semblant allongée depuis des millénaires et pondant un oeuf toutes les dix minutes environ.
   Le docteur se lança dans un dialogue avec une sorte de traducteur universel, invention de Stark. J'eus l'impression que la reine n'était pas impressionnée et qu'elle n'avait pas changé d'idée. Aussitôt, le Dr Strange se libéra grâce à ses boucliers énergétiques aux deux mains, et appuya sur une télécommande qui généra un rayon laser  depuis le vaisseau. Il transperça le toit du "palais" et se rapprocha dangereusement de la Reine qui, prise de panique, émit un sifflement assourdissant. De son côté, Thor avait convoqué son marteau pour se dégager, et moi, je poussais tant que je pouvais pour faire céder cette maudite glu.
   Les habitants du palais semblaient être une sorte de cour, ils avaient plus peur qu'autre chose. Sur l'ensemble des monstruosités qui restaient là, seuls une dizaine se précipitèrent sur nous. Je mis mes coudes en avant pour en repousser certains et j'utilisais la force des autres pour les balancer au plus loin que je pus. A un moment donné, je vis que l'un d'eux s'apprêtait à cracher en direction de Thor, dans son dos, et je soupçonnais que ça pouvait être acide, comme pour les fourmis ; alors je me mis entre eux deux, le temps que le Dr Strange l'achève avec ses boucliers. 
   La Reine criait toujours et finit par dire quelque chose de décisif, car le Dr arrêta la progression du rayon. Tout le monde se calma aussitôt, il y eut de courts pourparlers entre eux, et finalement, le docteur accepta d'arrêter le rayon. 
-"Elle a juré de rappeler ses troupes et de ne plus jamais s'attaquer à notre galaxie" expliqua le Dr.
   Ce qui restait de la garde rapprochée du palais, tomba les armes et nous rentrâmes sur Terre, sans encombre. Iron Man remonta à bord, les autres avaient dû repartir pour leur surveillance ordinaire. Thor me remercia chaleureusement, j'étais toute rouge et épuisée. Je jetais un regard implorant au Docteur qui me ramena sans délai. Il était midi douze, mon mari avait du retard, il n'était pas encore rentré. Je remerciais le Dr d'avoir tenu sa promesse, il me dit qu'il me recontacterai bientôt et il disparut dans un halo doré.

The armor 11

   Aussitôt dit, aussitôt fait : nous laissâmes Iron Man sur place qui organisa la défense de la Terre avec d'autres avengers, c'est comme cela qu'ils se nommaient et nous mîmes le cap sur la planète de ces êtres étranges à une vitesse hallucinante.
  Il y avait bien 5 secondes que j'avais une furieuse envie de demander au Dr Strange de respecter sa promesse et de me ramener chez moi. En même temps, vu que j'étais à l'origine de ce plan tordu, la moindre des choses était de m'assurer qu'il fonctionne bien. D'un autre côté, si tout foirait, c'était encore sur le vaisseau que j'étais le plus en sécurité...
   Comme j'étais lisible comme un livre ouvert, le docteur fit tout ce qu'il put pour me rassurer, mais dès que je vis l'état de la planète d'origine de ces créatures, ma furieuse envie me reprit aussitôt. Elle avait dû être belle autrefois, mais maintenant, elle était désertique et quasiment entièrement recouverte d'une sorte d'habitation faite de terre séchée. C'était joli si on aimait la terre. Pas un brin d'herbe, ni la moindre âme qui vive, ni arbre, ni eau. Rien que ce palais géant et biscornu.
   Comment faire pour savoir où la reine se trouvait ? s'il y en avait eu... Je choisis cet instant crucial pour demander l'air le plus dégagé possible, où étaient les toilettes. Si combat il devait y avoir, autant ne pas être enquiquinée par une vessie capricieuse.
  A mon retour, les hommes avaient mis au point un plan. Il s'agissait de débarquer, tout en laissant le vaisseau camouflé et invisible. L'analyse du sol avait révélé une concentration de la population sur un promontoire plus élevé et ils soupçonnaient que la reine devait se trouver là. On allait là-bas, on se faufilait au plus près et puis on frappait pour se faire remarquer, mais pas étriper, si possible.
   J'activai sans plus attendre mon armure, ce qui surprit légèrement le dieu immortel et ils m'emmenèrent avec eux jusqu'à l'endroit convenu. Je ne savais pas si je pouvais voler et je n'avais pas eu le loisir d'essayer encore. Tout se passa délicieusement comme prévu, saucissonnés par une espèce de bave gluante et mal odorante, on fut amené presto devant sa majesté pour qu'elle ait tout le loisir de décider de notre sort : cuit à la broche, rôti, dégusté en morceaux...

The Armor 10

   Le temps de faire un pas supplémentaire et je me trouvais ailleurs. Ça ressemblait bien à un vaisseau... spatial, mais rien à voir avec Thomas Pesquet et ses fils qui pendouillaient dans tous les sens. Là c'était plus science fiction, du métal, pas de jointure visible, une ambiance chaude, lumineuse, confortable. 
   Je n'eus pas plus de temps pour observer davantage qu'un homme m'aborda. Taille moyenne, brun, petite moustache bien taillée et des yeux rieurs dans un visage séducteur, c'était reparti pour l'anglais : "je m'appelle Tony Stark, mais tout le monde m'appelle Iron Man, ce vieux docteur ne nous avait pas dit qu'il ramenait une jolie jeune femme parmi nous, charmé..." Je rougis, car je ne savais pas faire autrement, tout en me disant qu'il faudrait que je me méfie de celui-là : petite, enrobée, pas maquillée, à peine peignée et dans des vêtements on ne peut plus ordinaire, quelque chose me disait que ce n'était pas du tout ce à quoi il était habitué.
   Sur ma droite, j'entendis "Thor, bonjour". Ça, au moins, c'était efficace et direct. Je répondis par réflexe "Comme le dieu ?" et il me répondit sans sourcilier "C'est moi oui". Là, je devins blême, ce grand gaillard, blond, cheveux longs, yeux de braise avec un look approximatif était le dieu Thor, non mais impossible, je bégayais un truc stupide qui fut perdu dans le bruit d'une alarme retentissante.
   Ils se mirent tous les trois à regarder des écrans proches d'une vitre où je vis qu'on n'était pas du tout sur Terre, mais bien quelque part au loin. Ils parlaient tous en même temps, très vite, et j'eus du mal à suivre. Apparemment, ils se disputaient sur la tactique à adopter. Thor brandissait son marteau, genre on dégomme tout et puis on voit ; et Stark avait l'air de parler d'une arme plus tactique et plus efficace. Le docteur hochait la tête, en expliquant qu'aucune solution ne fonctionnerait, ils étaient trop nombreux.
   Je jetais un coup d’œil à l'écran, il y avait plein de petits points lumineux formant une sorte d'essaim. Je demandais si on pouvait avoir une image de ces points, Stark me fit un agrandissement, c'était des sortes d'insectes géants dégoûtants qui avaient l'air franchement agressifs.
    Je réfléchis un instant et puis me lançais : "je pense qu'il y a deux solutions possibles". Ils se turent et me regardèrent fixement. Je priais pour ne pas faire de faute de prononciation ou comme ça : "si ce sont des insectes comme les abeilles, vouloir les éliminer ne donnera rien, ils reviendront en plus grand nombre. Il faut se rendre à leur maison (je ne savais pas dire ruche), trouver leur reine ou leur chef et l'attaquer pour qu'elle ou lui rappelle ses soldats. Ensuite, ou on discute, ou on le ou la tue : les bras ne sont rien sans la tête."

The Armor 9

   Mais le moins que je puisse dire c'est qu'il avait l'air drôlement sérieux. A part faire bouclier, je ne voyais pas bien de quelle utilité, je pourrais être... Je ne savais pas trop comment lui dire tout cela poliment, d'autant qu'il avait surement les moyens de récupérer l'armure d'une façon qui ne me plairait pas. 
   Je passais un long moment à scruter son regard qui me parut honnête, mais même s'il était vraiment séduisant, il me faudrait plus que les yeux du chat de Shrek pour me lancer dans une aventure. 
-"Vous savez, j'ai une vie simple ici et beaucoup de personnes comptent déjà sur moi... Mon mari rentre manger tous les midis et j'ai des cours à honorer en fin d'après-midi. Si je pars avec vous, vous ne pourrez pas garantir ma sécurité, ni me ramener si je change d'avis et ce que vous me proposez semble vraiment dangereux... Il faudrait que je vois déjà où vous "travaillez" et peut-être les personnes qui forment votre équipe, et peut-être, que eux aussi, auraient leurs mots à dire non ?" dis-je en hésitant beaucoup.
-"Si vous le souhaitez, je peux vous emmener les rencontrer et nous serons rentrés avant l'arrivée de votre mari..." déclara-t-il calmement.
   Je le regardais profondément en demandant "c'est une promesse" et il me répondit que oui et je lui tendis la main en guise de confirmation.
   Voyons, j'étais protégée par une armure hyper résistante et j'avais le même niveau sonore que la Castafiore au mieux de sa forme lorsque j'étais stressée, quelqu'un m'entendrait forcément et personne ne pourrait me faire de mal, et puis, j'aimais bien aider les autres, alors un type en costume bizarre de plus ou de moins...
  Avant de le suivre, je lui demandais s'il fallait que j'active l'armure, il me dit que dans le vaisseau ce n'était pas nécessaire. Le vaisseau ? Je regrettais déjà d'avancer, mais il me tenait toujours la main, je fermais les yeux, remplis mes poumons et marchais en stressant à mort.

The Armor 8

   Je préparais la bouilloire, tout en me faisant un café plutôt fort, je sortis les gâteaux par habitude, et puis je pensais au lait. Je ne lui laissais pas le choix du breuvage et je profitais du temps d'attente pour le détailler un peu plus. Grand, brun, une barbe bien taillée, pas d'arme sur lui, un look stylé avec une cape rouge rigide très rigolote, sachant manipuler la Force (après tout pourquoi pas), plutôt joli garçon (reste concentrée...) un peu hautain et peu agressif.
   Il trempa avec précaution le bout des lèvres dans sa tasse, tandis que j'en étais encore à touiller mon café. Il ajouta du lait, je n'ai jamais été forte pour le thé, ou il est trop fort, ou trop léger.
   Une fois désaltéré, il se mit calmement à m'expliquer qu'il faisait partie d'un groupe de personnes aux pouvoirs spéciaux qui veillaient sur la planète. Il avait fait des choix de mots simples, ce qui me facilitait énormément la vie. Il avait ressenti le pouvoir de mon bracelet (je mis quelques secondes à comprendre que c'était le même mot qu'en français, mais avec la prononciation anglaise et cela me fit sourire intérieurement) et qu'il était venu pour voir quelles étaient mes intentions sur la façon d'utiliser ce nouveau pouvoir. 
-"Ecoutez, dis-je en soignant mon accent, "je ne comprends pas pourquoi cet objet m'a choisie, ni pourquoi il souhaite que je le porte. J'ai deux enfants, un mari, un travail et je ne suis au contact d'aucun danger à aucun moment... peut-être que votre objet veut simplement se reposer un peu ?" ajoutais-je sans trop y croire moi-même...
-"C'est possible," dit-il pour me ménager, "mais il se trouve que mon groupe se prépare à partir en mission contre un ennemi puissant et nous aurions bien besoin d'une aide supplémentaire... La nature particulière de ce bijou serait un renfort précieux."
-"Ecoutez, moi je veux bien vous le donner, mais le problème c'est que je ne peux pas le sortir..." répondis-je précipitamment. 
-"Madame, vous m'avez mal compris," répondit-il et là je me dis que j'avais encore des progrès à faire en anglais,"ce que je veux dire, c'est que je souhaiterai que vous m'accompagniez pour nous aider dans notre mission..."
Je faillis m'étouffer avec le café que je venais d'ingurgiter, ma première réaction fut de répliquer "non merci" en français.

The armor 7

   D'instinct, je me reculais d'un pas et saisis une poêle délaissée depuis la veille sur la plaque de cuisson toute proche.
   Je bredouillais mon identité en anglais en pensant que ça me ferait gagner du temps. Au même moment, j'essayais désespérément de me rappeler la dizaine de cours de self défense que j'avais pris, il y avait bien une longue éternité, et toutes les techniques de combat de l'Arme fatale. Mauvais exemple, Mel Gibson, c'est toujours une diversion agréable. 
   J'essayais aussi de comprendre comment ce monsieur avait atterri dans ma cuisine. A en juger par le halo de lumière qui se trouvait derrière lui, je pariais pour une technique de déplacement expérimentale, américaine ou russe ou japonaise ou chinoise... A moins que ça ne soit de la magie ? Ouais, c'est ça, le truc bien sympa, que si ça arrivait, ça serait génial, mais pourquoi dans ma cuisine ??
   Il me dit des trucs que je ne compris pas, j'essayais de le faire répéter sans l'énerver, plus lentement, tout en lui expliquant que je n'avais pas besoin d'un docteur et que j'allais très bien. Au cas où, je vérifiais en même temps que ce n'était pas LE Docteur, mais non, aucune chance. 
   Je finis par comprendre des bribes, il y avait un nom propre, c'est toujours galère en anglais et il me montrait mon bras. Mince comment on disait bracelet en anglais. Je lui demandais s'il venait pour ce bijou, ça je savais le dire, merci Bejeweled, et je lui expliquais que je ne pouvais plus le sortir, que c'était trop tard. 
   Le halo derrière le monsieur disparut et il me demanda si j'avais du thé. Un anglais donc, britannique c'est sûr, londonien peut-être. Je pris quelques secondes pour déterminer s'il était dangereux ou non, ma poêle ridicule contre une technologie avancée, fais-moi  rire... 
   Je lui désignais la chaise du côté de la porte et je me mis en face côté fenêtre (au pire si les choses se gâtaient, je pourrais toujours fuir par là, ça le dérouterait quelques secondes). Tout d'un coup, je me rappelais de l'armure, je ne risquais rien du tout, en fait. Mais pourquoi ne s'était-elle pas activée ? Je n'y comprenais rien du tout...

The armor 6

   J'étais toute chose, pourquoi cette armure était-elle venue à moi ? Je n'avais jamais été cambriolée de ma vie, je n'avais jamais été confrontée à une quelconque violence physique et au fin fond de ma campagne, ça n'était pas prêt d'arriver. Pourquoi moi ? Je détestais les armes et la violence, j'allais mettre un très grand moment avant de me retrouver en lice face à un autre chevalier... C'était vraiment trop bizarre.
  D'un autre côté, je ne pouvais en parler à personne, on me prendrait pour une folle et si je faisais la démonstration de mon armure : ni une ni deux, je me retrouverais certainement dans un laboratoire à être étudiée de tous côtés, non merci. Pourtant j'avais une furieuse envie d'appeler les copines, mon mari, ma mère, bref, de le faire savoir à tout le monde... 
  Je pensais au côté pragmatique de mon mari qui me dirait certainement d'un air blasé : "Et tu peux faire quoi avec ton truc ?" Bonne question Sherlock. Je savais qu'on pouvait me taper dessus sans souci ou que je pouvais taper un truc sans souci, pour les balles pas sûr et la chaleur, genre un super pompier, facile à tester ça... 
   Je mis ma plaque de cuisson en route, au maximum, j'enclenchais mon armure en appuyant sur les boutons et en disant "s'il te plait", ça ne gâchait rien d'être polie. J'attendis un petit moment et j'appuyais ma main d'abord avec une infinie précaution, prête à la retirer rapidement si nécessaire, puis je me détendis carrément, je ne ressentais rien du tout, il n'y avait même pas une petite fumée pour dire que ça chauffe. 
   Je retirais ma main pour regarder l'armure, intacte, pas même un léger rougeoiement. Mais pourquoi une chose pareille était venue à moi... Je n'eus pas vraiment l'occasion d'approfondir la question. J'entendis un bruit très léger, je vis dans le coin de mon œil comme une forme, et j'entendis un raclement de gorge poli.
-"Good morning, miss, my name is Dr Strange... What's your name ?"

The armor 5

   Je décidais de sortir pour voir si la lumière du soleil pouvait y être pour quelque chose, après tout, j'avais trouvé l'engin dehors, ça pouvait être une solution. Je descendis les trois marches qui me séparaient de l'appentis arrière, personne ne me verrait à cette heure-ci. Mais arrivée à la dernière, je m'empêtrais les jambes et me retrouvais allongée de tout mon long sur le sol. La chute fut rapide, mais la réception extrêmement douce. Je n'avais mal nulle part, c'était comme tomber dans un airbaig géant.
   Je me relevais sans mal avec des idées euphoriques plein la tête : peut-être que c'était une chose qui protégeait, une armure quoi. Moi Valérie Marcadet plus de 40 ans, mère de deux enfants et toute sa tête, je m'apprêtais à faire une chose parfaitement stupide : et si je me jetais contre un mur, que se passerait-il ? J'avais vu que ça me protégeait, et, si ça s’abîmait, au moins ça tomberait ou disparaîtrait ou tout autre chose qui m'en libérerait. 
   Ni une ni deux, je pris de l'élan et me jetais de toute mes forces contre le mur en béton du garage de mon mari : boom, cela fit résonner les trois autres murs et le plafond. Mais je n'avais toujours rien, j'étais très confortablement détendue à attendre que quelque chose arrive à mon armure. Rien, hormis de la poussière et des araignées mécontentes, sans compter quelques oiseaux effrayés. Rien.
   C'était bien une armure, mais comment l'enlever, comment sortir ce fichu machin qui ne me servait à rien dans l'immédiat ? Je finis par m'asseoir dehors, au soleil, cachée derrière la maison au milieu des arbustes pour réfléchir. Je regardais mon poignet droit là où j'avais placé le bracelet, on pouvait voir que l'armure était légèrement enfoncée à cet endroit là. Je décidais de passer l'autre main dessus, de le caresser, d'appuyer, au bout d'un moment, j'entendis un clic sur le dessus et au-dessous à l'opposé.
    Mais rien de plus. Si cette armure était reliée à moi, à qui j'étais, dans le fond elle avait changé en bracelet pour me faire plaisir, il fallait peut-être que je lui demande de rétrécir... Je pensais "stop, déposer, retirer, enlever, sortir", ça ne marchait pas... Puis je pensais à mes cours de sophrologie, au fait que je voulais toujours tout contrôler et, que des fois, il fallait changer de point de vue pour relativiser une situation critique. Si j'étais cet objet, qu'est-ce que je penserais : que j'ai aidé une parfaite inconnue et que je devais lui montrer l'étendue de mes capacités et qu'elle devrait m'en être reconnaissante... Du coup, je pensais "merci !" en appuyant sur les points que j'avais vu : et l'armure se mit à se rétrécir pour redevenir un simple bracelet, collant certes, mais parfaitement inoffensif.

The armor 4

   Je clignais donc des yeux pour m'apercevoir que j'y voyais, j'y voyais à travers le truc qui me recouvrait. Je commençais à me détendre un peu. Finalement, ça ne pesait rien du tout et ça n'était pas oppressant, mais c'était toujours là. L'hallucination n'était pas une explication donc. 
    Je me risquais à bouger pour voir, bras droit, bras gauche. Je pouvais faire des mouvements relativement souples, je pouvais plier mon bras et même mes doigts. Ça semblait dur comme de la pierre, mais, en fait, s'était malléable comme une sorte de veste géante en mithril, merci M Tolkien, sauf que ça ne brillait pas. 
    Pour la vision, c'était bizarre, j'y voyais clair, mais comme à travers un voile, ça me stressait un peu, parce que c'est souvent de cette façon-là que je vois quand j'ai une migraine. Je décidais de sortir de la cuisine pour voir si je pouvais faire des gestes plus fins comme tourner la clé et ouvrir une porte. A ma grande surprise, j'y arrivais bien. J'avais la sensation d'avoir une main énorme qui faisait deux fois sa taille habituelle et puis finalement, j'arrivais à tenir un objet fin et fragile comme une clé, sans le casser, d'ailleurs si ça arrivait, j'en connais un qui serait franchement mécontent. 
    A ce moment là, je me rendis compte que j'avais dû me pencher pour atteindre la clé. Je décidais de faire une vérification supplémentaire et retournais dans l'entrée, pour me voir dans le petit miroir : je ne vis que mon cou, j'avais pris des centimètres !! 
    Je faisais un mètre soixante quatre en me tenant correctement et là j'avais bien pris dix centimètres, facile ! De l'extérieur, je ressemblais à une sorte de statue mobile, un mélange entre la Chose et Le Surfer d'argent : sans cheveu, sans forme, recouverte d'une plaque à la fois discontinue et plate d'un noir profond.
   Si ça ne m'avait pas tué, et ça n'avait pas l'air d'en avoir l'intention, à quoi est-ce que ça pouvait bien servir et le plus important comment, Bon Dieu, enlevait-on ce machin ??

The armor 3

   Le bracelet se mit à chauffer légèrement, et avant que j'ai pu atteindre l'atelier où se trouvaient des pinces et des tenailles, il se mit à se développer sur moi. Il se multipliait sous mes yeux à une vitesse incroyable, il avait déjà recouvert mon avant-bras, l'ensemble de mes doigts et remontait déjà jusqu'au coude. Chaque côté se collait à un autre côté et formait un nouvel hexagone qui se développait à son tour sur ses faces libres. 
   Il recouvrait tout mon bras, mon épaule et en un rien de temps, il contamina aussi mon buste, mes jambes, j'arrivai à peine à baisser la tête pour suivre le phénomène qui était en train de me momifier vivante, sans que je puisse rien faire. Impossible d'atteindre un téléphone et j'avais si peur que ma gorge était toute sèche, et même en faisant la respiration ventrale, je ne parvenais pas à libérer le moindre son.
   Fatalement, il finit par atteindre mon cou, mon menton, mes joues, je le sentais sur ma nuque, il recouvrait mes cheveux, arrivait à mon front. Je pris une dernière profonde respiration angoissée et je ne vis plus rien. J'étais bloquée dans une position ridicule les deux bras légèrement levés, les jambes en équilibre par rapport à mon bassin, ma nuque raide et ma tête droite.
    Je ne sais pas exactement combien de temps je restais ainsi, à respirer en me demandant quoi faire. Est-ce que j'avais appuyé sur un bouton, sur un déclencheur, sur quoi que ce soit qui dépassait... Non. Peut-être que c'était plutôt une sorte de système sensitif, à déclenchement automatique, lié au mouvement.
   Je n'étais pas morte, et je n'étais pas statufiée, enfin, je le supposais. Il fallait pourtant que je fasse quelque chose, je ne pouvais pas rester là indéfiniment et si mon mari me voyait comme ça, il me mettrait peut-être à la déchetterie, en pensant que j'avais encore récupéré un mannequin à la noix d'une copine.
     Et si tout cela n'était qu'une hallucination, la plus horrible qui soit, mais après tout, ce n'était ni logique, ni réel que ce truc là arrive, peut-être que l'objet indéterminé du début était tout simplement un hallucinogène et comme je n'en avais jamais pris de ma vie, ça me faisait un effet bœuf. Ça ne pouvait être que ça... Dans les films, les hallucinations s'en allaient en clignant des yeux. Par instinct, j'avais fermé les miens, il suffisait peut-être que je les ouvre et que je bouge et je me retrouverai plantée stupidement au milieu de ma cuisine.

The armor 2

   Mais l'urgence était déjà ailleurs, les petits étaient réveillés et ils se chamaillaient déjà... Je fus ensuite accaparée par les tâches ordinaires du matin : petit-déjeuner, amener le petit à l'école sans être trop en retard, déguster mon café ensuite, au calme, enfin.

   Tout à coup, je me rappelais l'objet dans ma poche et je le sortis pour l'observer. J'avais entre les mains un joli bracelet en pierre noire. Même si le matin, j'ai toujours des difficultés à me réveiller, j'étais bien certaine d'avoir ramassé la veille, une seule pierre bizarre. Alors comment ce bracelet s'était-il retrouvé là ? est-ce que c'était comme ces petites boîtes chinoises, sans serrure, où il faut appuyer sur des décorations précises pour en découvrir les compartiments secrets ? peut-être que dans la nuit, j'avais bougé et j'avais appuyé sur ces boutons ?
   Tout de même, c'était fort de café, comment une petite pierre de la taille d'une puce de carte bleue avait-elle pu se déplier en un bracelet de... voyons 6 petites pierres collées les unes aux autres sans assemblement visible ? ou alors c'était comme pour les origamis, un truc gros qui s'était tassé en un seul ?
   Pour l'heure, je décidais de voir s'il m'allait bien au poignet, le droit, puisque le gauche était occupé par ma montre. Le bracelet était juste à ma taille et les pierres brillaient joliment au soleil de fin d'hiver.
   Et puis une chose désagréable se produisit soudain. Le bracelet se mit à rétrécir pour se coller directement sur ma peau. J'eus beau m'acharner à tirer dessus de toutes mes forces, cette saleté semblait collée à la glu prise rapide et forte. Je sentis monter une angoisse soudaine, puissante et qui me submergeait. Je réalisais trop tard, que je n'aurais pas dû mettre cette satanée chose à mon poignet. Qu'est-ce que c'était que ce truc ? un objet piégé pour déceler les personnes malhonnêtes ou des menottes extra-terrestres ou pire encore...






The armor 1

   C'était un de ces jours agréables où l'on a envie, sans savoir pourquoi, d'aller balader et de profiter du soleil. Les enfants avaient pris les pinces à déchet et des poches, au cas où, et nous avions pris notre route habituelle, sous les platanes. Il y avait un petit vent frais et agréable. Le temps d'arriver à l'écluse, nous avions déjà récolté au moins 5 bouteilles en plastique et une dizaine de mégots de cigarettes. Les garçons se promenaient le long de l'écluse observant les remous de l'eau, la vitesse à laquelle elle se vidait ou se remplissait. Je leur faisais confiance et assise sur un rondin coupé, je laissais vagabonder mon regard. Quelque chose attira mon attention, ce n'était pas quelque chose qui brillait franchement, ni quelque chose de volumineux, ni non plus un animal ou un déchet, mais j'avais envie d'aller voir. 
- "Et si on allait jusqu'à l'autre pont, le long du canal ?"

    Aussitôt dit, aussitôt fait. En un rien de temps, j'avais atteint mon fameux objet, les enfants se chamaillaient à l'arrière, comme d'habitude. Mon aîné, très intéressé par la lithographie, vint voir ce que j'avais ramassé, pendant que le petit était parti devant, bouder. 
- "C'est quoi ?" demanda-t-il.
- "Je ne sais pas... on ne dirait pas du plastique, pourtant c'est trop régulier pour être une pierre ou une partie de bijoux, ce n'est pas du verre non plus..."
- "C'est dommage, s'il y en avait plusieurs, ça ferait un joli bracelet", déclara-t-il, toujours plein de bonnes idées.
   
C'était bizarre, ça avait l'air d'une sorte de polygone, on aurait dit une tomette miniature, mais noire, d'un noir profond et uniforme, et puis les côtés étaient doux, comme limés. Je décidais de le mettre dans ma poche et de l'observer plus tard, à l'ombre, avec une loupe.
Les enfants furent infernaux, excités et pénibles entre eux, du coup, j'écourtai la promenade, pour les focaliser sur le goûter dans l'idée qu'ils se calment un peu...

L'après-midi fila en occupations diverses et autres punitions, jusqu'au soir, tout aussi agité. La nuit se passa sans encombre et je m'habillais avec le même pantalon qui n'avait pas trop souffert, en changeant mon pull qui, lui, avait récupéré la farine et le sucre du goûter de la veille. Cependant mon pantalon me sembla lourd et la poche me paraissait bien gonflée. En glissant ma main pour l'aplatir, je sentis un objet bizarre dont je ne me rappelais pas, au fond de celle-ci.

Nouvelle de Noël fin

Alors, le modèle d'agriculture écologique, qu'on ne trouvait pas si logique que ça, interroge et convainc. 
Et si au lieu d'être de doux rêveurs, hérités des années hippie et du Larzac, ces "écolo" étaient en fait à la pointe du progrès ?
Et s'il y avait une autre façon de vivre, une façon plus harmonieuse, plus respectueuse en un mot, plus moderne ?
Partout, ont fleurit de nouveaux modèles de permaculture, d'agriculture respectueuse des sols et on n'a pas voulu s'arrêter là.
Puisqu'on respectait le sol, en binant moins, voire quasi plus du tout, pourquoi ne pas respecter aussi les insectes et les animaux ?
Les voitures ont fait un progrès en avant dans le silence, dans la qualité de déplacement. On a cherché de nouveaux matériaux pour les routes plus respectueuses du sol et qui ne l'appauvrissait plus.
Les gens se sont mis à ramasser les déchets un peu partout, comme ça pour rien. Ils ont recommencé à balader, à discuter, à se côtoyer, à échanger. 
On a aussi optimiser les déplacements en avion, on a testé des trains silencieux montés sur pneumatiques. On a sorti des vieux tiroirs les idées folles de véhicules à l'huile, à l'eau, les ballons des films de science fiction ont envahi le ciel. 
Les saisons se sont réinstallées, un cycle de vie nouveau, stable et riche a vu le jour.
Tout ça, à cause d'une pénurie de beurre...