Ils commençaient à être inquiets : et si les créatures décidaient de
sortir de la crique, et si elles allaient faire du mal à l’extérieur ?...
Ils les savaient capables du pire, et cependant, c’était un peu de leurs
enfants. Lorsque les premiers meurtres furent commis, ils comprirent que c’était
à eux d’agir. Ils avaient renoncé depuis longtemps à un quelconque antidote,
ils avaient fait de très nombreuses tentatives en laboratoire : des échecs
cuisants. Pour finir, ils résolurent de fermer la crique, ce qui maintiendrait
le groupe là, tout en laissant le temps de réfléchir à une autre stratégie. Je
fus chargée de partir acheter le nécessaire pour faire sauter les deux côtés de
la crique. J’étais leur bonne, femme à tout faire plus ou moins, nounou aussi
avec les enfants la plupart du temps. C’est moi qui allais faire les courses et
faisais les repas, sinon mes employeurs oublieraient de manger.
Je m’arrangeais pour ne pas acheter tout, au même endroit, pour ne pas
éveiller les soupçons. Je revins rapidement et l’on se mit à disposer les
charges explosives à des endroits stratégiques. Pendant ce temps, le
scientifique prépara un barbecue sur la plage. Nous avions remarqué que les
créatures étaient très gourmandes de viande cuite et curieuses de voir le
processus pour faire du feu. Elles en étaient presque hypnotisées. Et nous
espérions qu’elles seraient toutes réunies là au bon moment.
Cependant, tout ne se déroula pas comme prévu. Les créatures de la
dernière génération soupçonnèrent quelque chose, en ne voyant pas les femmes
s’affairer comme elles auraient dû. Je fus la première à revenir, et, je me
réjouis du barbecue en proposant d’aller chercher les aliments à griller. Le
scientifique était entouré d’une dizaine de créatures, silencieuses, absorbées
par le crépitement du feu et des braises, leurs queues ondulant en rythme et il
me fit un clin d’œil appuyé. Cependant, sa femme n’était toujours pas là, ça
faisait une bonne demi-heure que j’étais rentrée, et pas elle. Pourtant, en
tant que scientifique, elle était plus expérimentée que moi pour les
préparations de cette nature. Je commençais à voir les mêmes soupçons chez son
mari, qui scrutait frénétiquement le côté de la crique d’où elle devait venir.
Pour finir, la solution vint de la mer. Une créature de deuxième
génération en sortit puissamment, visiblement très énervée, il tenait dans sa
queue des fils électriques arrachés. Il n’eut pas à faire de longues
explications, pour que toutes les créatures sur la plage nous fixent d’un air
dangereux et menaçant. On se mit à reculer doucement, il tenait encore à la
main une pince du barbecue.
« Où est ma femme ? » balbutia-t-il. Pour toute réponse,
la créature se tourna vers un bosquet de la crique, une créature de dernière
génération, sur ses deux jambes, en sortit, traînant négligemment derrière
elle, un corps, horriblement difforme. « Ils ont voulu nous tuer !
dit-elle, Attrapez-les ! »
Sans réfléchir, ni se concerter, on se mit à courir à toutes jambes, en pensant
les ralentir un peu sur terre. Le professeur se saisit au passage de son
téléphone et essaya de prévenir les secours. Je pris le temps de fermer la
porte de derrière avec le plus de verrous possibles, ils en avaient rajouté au
fur et à mesure des naissances. Prise de panique, je ne savais que faire,
monter et tenter de fuir en voiture, descendre et me cacher dans le laboratoire
sécurisé ? J’entendis le hurlement du professeur à l’étage, descendre
vite.
Je me suis cachée dans le bureau à côté du laboratoire, les lignes
téléphoniques sont coupées, j’essaie d’oublier le regard avide de sang qui me
revient sans cesse en mémoire. J’ai oublié qu’il y avait un code au laboratoire
et qu’il a été changé après l’accident et que je ne l’ai pas… Je vous présente
mes excuses au nom de mes employeurs, ils ne souhaitaient pas tout cela, ils ne
voulaient que faire avancer la science. D’ici peu, il y aurai des morts par
dizaine, après nous et la police n’aura pas d’indice. Bientôt, ils ne se
cacheront plus, bientôt tout le monde verra ces monstres au grand jour. Il y a
quelques heures, ils ont essayé d’utiliser les explosifs pour faire sauter la
porte, je pense qu’un petit nombre d’entre eux est mort. On dirait qu’ils font
une autre tentative. Je m’appelle Marie Acquiline, je suis un être humain et je
me trouvais sous cette table impuissante…