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The Armor 17

   Ce qui m'avait réveillé, c'était une sorte de sonnerie, comme un très vieux tic-tac d'horloge. J'étais toujours dans cette même pièce, je me sentais extrêmement faible et pourtant, vraiment très lucide, c'était étrange. Au lieu de ma petite voix intérieure, il y avait une sorte de murmure, comme des séries de messages incessants qui fusaient dans tous les sens. Ça n'était pas dans ma langue natale, mais je comprenais pourtant. Avec le peu de force qu'il me restait, je décidais d'en suivre une, comme si elle faisait partie d'un circuit électrique pour voir, et je me retrouvais, en rêve ou en réalité, dans un gros module central d'où partait toute une série de messages ou d'impulsions dans tous les sens. Je devais être au cœur du vaisseau ou dans ce qui pouvait être son cerveau.
   Les garçons étaient coincés et peut-être en mauvaise posture, il fallait que je fasse quelque chose et me libérer de ce truc était exclu. J'eus une idée un peu folle, surtout si je rêvais, mais au moins mon rêve finirait bien. Je cherchais l'impulsion qui activait la sécurité du vaisseau et je la redirigeais ailleurs avec toute la force de ma volonté : il allait voir ce vaisseau de quel bois je me chauffais. J'ignorais si ça avait marché, et qui j'avais délivré, mais j'avais agi au moins.
  Quelques minutes plus tard, j'entendis des tirs de lasers, des explosions énormes et des hurlements dans toutes les directions. Mon oreillette crépitait, Iron Man cherchait ses compagnons avec moins de subtilité que d'efficacité et ils m'appelaient tous pour me demander où j'étais. Je n'arrivais pas à parler à peine à penser, le tic-tac de l'horloge faiblissait aussi, la douleur avait dépassé l'insupportable et j'étais en train de m'engourdir, j'avais froid de l'intérieur. Je pensais très fort "noir" et je perdis connaissance tout à fait.
   Lorsque je m'éveillais, j'étais libérée, j'étais loin de ce truc horrible, j'étais dans un lit, le tic-tac avait disparu, je me trouvais dans un vaisseau spatial, probablement le nôtre, du moins je l'espérais, ou alors au Paradis. "Bonjour !" dit une voix quelque part au-dessus de moi "nous pensions que vous ne vous réveilleriez plus..." avec un pâle sourire, le Dr Strange se leva pour se rapprocher, j'avais un champ de vision très restreint. "Nous avons essayé de vous emmener sur Asgard, mais leur technologie fonctionne sur les problèmes physiques et le vôtre est bien plus complexe..." 
   J'avais du mal à me concentrer pour faire la mise au point sur son visage, j'avais du mal à réfléchir, parler était exclu et je dus vraiment lui faire une peur terrible, car il avait l'air affreusement soucieux : "vous m'entendez ?" ajouta-t-il. J'esquissais un mouvement de tête affirmatif, mais ça aussi c'était vraiment difficile. C'était comme si on avait ôté une à une toutes mes émotions positives ou négatives, ma façon de penser, ma façon de respirer, la cartographie de mon corps, tout, comme si j'étais une coquille vide, affreusement froide et irrémédiablement vide. Je n'étais pas contente de le voir, ni en colère non plus, indifférente, c'était le mot. Il dut le sentir ou le voir, car il sortit rapidement de la pièce en me disant de me reposer. Je passais un temps très long, toute seule, mais j'avais l'impression de retrouver de l'énergie physique, une certaine coordination.
   Tony Stark frappa à la porte et rentra très rapidement. Il était allé me chercher mon téléphone portable, il m'expliqua qu'il avait bloqué les appels, mais que consulter mes photos et mes messages m'aiderait peut-être... et il repartit aussitôt. J'avais la sensation qu'il venait de faire quelque chose que les autres désapprouvaient franchement. Effectivement, regarder toutes ses choses qui constituaient ma vie m'aida un peu, je reconnus mes enfants, mon chat, je n'avais pas de photo de mon mari, les photos des devoirs des élèves pour les préparations, les messages de ma maman, de mes amies, les émoticones, et puis j'écoutais les audios que j'avais chargés, des cours en anglais, des chansons pour apprendre l'anglais, le best of du rock and roll, des bandes originales de films. Cela fit comme un écho lointain, mais j'avais toujours froid, très froid.
   Finalement le Dr Strange revint, l'air déterminé. Je n'eus pas le temps de ranger mon téléphone, je ne me rappelais plus comment cacher rapidement quelque chose, si c'était bien ou pas. Il me posa de nombreuses questions brèves et j'essayais de bouger la tête, puis il me demanda pour le bruit répétitif et je fis signe que oui, il parut satisfait. Enfin, il me demanda s'il pouvait regarder mon poignet, peu importait. Mon armure, enfin le bracelet, s'était détachée, elle ne tenait plus à ma peau que par un chaînon. Il fronça les sourcils et parut très content. 
"J'ai fait des recherches sur Terre auprès des Grands Maîtres et vous êtes la seconde à qui une chose pareille est arrivée. La première fois aussi, le sorcier impacté avait sur lui un objet imprégné de magie. Il se trouve que l'on a pu réactiver son âme à un niveau moyen, car l'objet avait sauvegardé en lui tout ce qu'il avait pu de l'âme de son hôte. Je pense que votre armure en a fait de même et avec votre permission, je pourrais tenter de réactiver cette part de vous-même... par contre, j'ignore si c'est douloureux ou non..." Il semblait assez excité de retrouver son ancien métier d'une drôle de façon, mais très stressé à la peur de me faire mal. Je n'en avais à ce moment là, vraiment rien à faire du tout...
   Je ne sais pas combien de temps dura la consultation, j'avais fermé les yeux à sa demande et je sentais des picotements depuis mon poignet qui se répandaient un peu partout dans mon corps, c'était chaud et agréable, ça faisait disparaître cette froideur et la noirceur qui allait avec. Après cette consultation particulière, il me ramena chez moi : c'était le matin, il n'y avait personne à la maison, il m'aida à monter jusqu'à mon lit et je m'endormis aussitôt.
   Mon mari avait décommandé tous mes cours pour cause de grippe, il s'était arrangé pour les enfants et l'école, je restais au lit 3 jours d'affilé, et puis je m'aidais de ma sophrologue et d'autres amies qui faisaient de la médecine alternative pour retrouver ma forme initiale. Le chemin allait être très long, mais je faisais illusion auprès des élèves. Cet été là, je décidais de ne pas travailler et je multipliais les sorties en nature, dans les musées, en ville j'observais l'architecture, je sortais au cinéma, je nourrissais mon âme de lectures diverses et variées, je consultais tous mes albums photos, je travaillais sur moi. Mon mari était patient et fidèle à lui-même, il m'avait interdit de repartir.
   Enfin, quand mon armure était à deux chaînons sur mon poignet, ils vinrent me rechercher. Je leur demandais de passer prendre aussi mon mari et nous eûmes une très longue conversation, vraiment animée à cinq. Pour finir, il fut décidé que je reprendrais du service auprès d'eux, mais que je resterais dans le vaisseau tant que mon armure ne serait pas entièrement régénérée et ils me promirent solennellement de m'écouter si je ressentais à nouveau un mauvais pressentiment.  



The Armor 16

   A ce moment là, retentit une sorte de bruit qui devait, pour les habitants de ce vaisseau, être un rire sardonique de victoire. Il y avait une vingtaine d'humanoïdes à la peau entièrement blanche, tout nus, mais sans signe distinctif, à part l'un d'entre eux qui arborait une haute coiffe rouge sang. 
-"Cela fait longtemps", dit-il, "que nous envoyons des messages de détresse dans toutes les galaxies alentour, mais un seul à la fois à cause de l'état de faiblesse de notre vaisseau : 3 humains et un supra-humain, quelle chance pour nous !" Nous étions piégés et vexés, moi plus que les autres, et personne ne répondit. Souriant, il donna ses ordres : "Commencez par la femelle, nous garderons le supra-humain pour la fin, le vaisseau pourra le recevoir à ce moment-là !"
   Tony tenta de s'interposer quand les autres vinrent me chercher et m'emmener par les poignets sans ménagement :"Laissez-la tranquille !" cria-t-il avec un ton très très intimidant. Ce à quoi le "roi" répondit : "Ne vous inquiétez pas, votre tour viendra !" et comme pour attiser encore un peu plus la colère de son nouvel  hôte, il ajouta "Les humains sont le mets préféré de mon vaisseau... Voyez-vous, il est vivant, et l'âme humaine contient toute la puissance nécessaire à son bon fonctionnement... mais comme il est endommagé, il se peut qu'il ait besoin de tous vous déguster... Nous verrons, peut-être que je garderai l'un d'entre vous comme en-cas pour plus tard..."
   J'entendais dans mon oreillette les indications de mes compagnons : tape comme ci, fais comme ça, on va venir te délivrer ; mais j'étais tétanisée, je ne pouvais rien faire, ni rien penser. J'essayais de m'accrocher avec les jambes, mais je reçus un violent coup de poing dans le ventre qui me fit lâcher. "N'abîmez pas la marchandise" dit le "roi" à ses sbires. J'essayais de me concentrer sur ma respiration pour ne pas imaginer le pire, mais ça devenait de plus en plus difficile.
  Finalement, à peu près au milieu du vaisseau, ils s'arrêtèrent devant une porte vitrée. L'intérieur était la seule partie noire du vaisseau et lorsqu'ils ouvrirent la porte, ça sentait mauvais au point que je faillis vomir aussitôt. Ça sentait la mort et la décomposition. Sans rentrer eux-même, ils me jetèrent à l'intérieur et fermèrent aussitôt la porte. J'entendis qu'ils enclenchaient des boutons de l'autre côté.
   Apeurée, je me mis à tambouriner la porte et criant qu'on m'ouvre, ce qui était stupide, mais instinctif. Puis soudain, je sentis une sorte de liane s'enrouler autour de mes chevilles, c'était froid, visqueux et solide. J'essayais de la dégager, mais il n'y avait rien à faire. En une seconde, je tombais de tout mon long sur le dos, en étant tirée très vite et très fort, vers le fond de la pièce. J'étais maintenant suspendue en l'air dans le noir, la tête en bas, j'avais glissé sur des restes de cadavres, c'était à peu près sûr, j'avais l'estomac au bord des lèvres. Presque aussitôt, je sentis une douleur affreuse dans mon dos, il y avait comme une espèce d'énorme ventouse sur toute la surface de mon dos, qui m'aspirait. Je hurlais de douleur, mais bientôt ce que je ressentais était au-delà des cris, je perdis connaissance quelques minutes. Lorsque je m'éveillais, je sentis non pas mes forces, mon sang disparaître, mais une partie plus profonde de mon être, le "roi" avait dit vrai, ils étaient en train d'aspirer mon âme.


The armor 15

   Arrivés dans le vaisseau à une vitesse faramineuse (le marteau de Thor était phénoménal), ils m'expliquèrent la situation pendant que le Dr Strange entrait de nouvelles coordonnées. Tout avait été très calme depuis quelques temps, ce qui les avait surpris, jusqu'à ce qu'ils reçoivent un message de détresse. Ils avaient fait une première expédition discrète de reconnaissance et à leur avis, il n'y avait pas de risque. Cependant, au cas où, ils avaient préféré s'y rendre avec l'équipe au complet, vu que la dernière fois, tout s'était très bien passé, ou presque. Et puis, sur le vaisseau en détresse qui s'était échoué sur une planète à la lisière de notre galaxie, il y avait une espèce de logo étrange que personne n'avait vu jusque là : un mélange entre le logo de la NASA, l'homme de Vitruve et une sorte de serpent avec une tête d'un bout et une tête de l'autre. 
    L'endroit était évidemment désert et lugubre. Il y avait peu de lumière et tout était silencieux. Ils avaient décidé de se rendre dans le vaisseau par deux endroits différents, étant donné qu'il y avait la porte de la soute arrière qui semblait intacte et qu'un impact avait littéralement arraché ce qui devait être le cockpit avant. Cette fois-ci, dans un souci d'améliorer la communication et de tester encore un nouveau gadget hyper pratique, Iron Man avait muni tout le monde d'un module de communication qui fonctionnait très bien, même à travers mon armure, et il avait eu la délicatesse et la prévoyance d'y intégrer un traducteur émetteur-récepteur, car j'avais la fâcheuse tendance à parler en français en plein milieu de la bagarre...
    A quelques pas de la soute, à côté d'Iron Man, je me mis à frémir, j'avais des sueurs froides, je me sentais vraiment très mal. Je n'osais pas lui en parler de peur qu'il me prenne pour une trouillarde, mais une sensation vraiment désagréable, appelez cela un sixième sens, l'intuition féminine, tout me disait de ne pas avancer davantage. Je finis par m'arrêter, il me regarda en étant pas très rassuré lui-même et je lui dis que j'avais un très mauvais pressentiment concernant cet endroit, très, très mauvais et que je préférais qu'on revienne une autre fois, qu'on analyse davantage ce vaisseau, bref, qu'on n'y mette pas les pieds. 
   En chœur, les trois hommes me répondirent qu'ils étaient déjà venus, que les détecteurs n'avaient rien trouvé de vivant et qu'au pire, il y avait peut-être un robot ou deux qui ne seraient, par définition, pas hostiles... Bref, j'avais tort de m'inquiéter et l'on me proposa des petits cours rapides de self-défense à notre retour. Iron-Man était en train d'ouvrir la porte de la soute et les autres se concentraient sur celle du couloir avant probablement. Visiblement, le Docteur avait du mal à faire patienter Thor qui proposait un grand coup de marteau pour se frayer un chemin ; il lui dit qu'il y avait avec la porte une protection contre la dépressurisation et que son idée, même si elle était séduisante, risquait d'asphyxier les survivants s'il y en avait... 
   Il entra, je le suivis non sans une énorme appréhension, en silence la porte se referma derrière nous, il  alluma ses projecteurs, mais ils s'éteignirent presque aussitôt, la lumière se mettait en route toute seule partout dans le vaisseau, ainsi qu'une espèce de faisceau venu du plafond. Immédiatement, mon armure se réduisit sans que je puisse l'empêcher, celle d'Iron Man se désolidarisa aussi et tomba par terre avec un grand bruit, nous étions en prison dans ce faisceau qui nous soulevait du sol et nous brûlait si nous bougions pour nous échapper. 
   Dans mon oreille, j'entendais les grognements de Thor et la surprise du Docteur qui avaient dû rencontrer le même problème et qui criaient de nous enfuir. Trop tard, fut notre réponse.

The armor 14

   Il lui fallut un long moment avant de prononcer un mot et même de bouger tout court. Je commençais à lui expliquer et il reprit quelques couleurs : 
- "Voilà, il y a un groupe d'hommes avec des pouvoirs surnaturels qui protègent la Terre et il se trouve qu'ils avaient besoin d'un coup de main supplémentaire et comme j'étais disponible, ils sont venus me demander de l'aide... Parce qu'en fait, il semblerait que ça soit un objet qui garde de la magie et il m'a choisi, moi, du coup, s'ils voulaient bénéficier de l'armure, il fallait qu'ils m'acceptent aussi..." Je sentais que j'étais en train de m'embrouiller.
-" Mais tu respires dans ce truc ?" demanda-t-il en s'approchant. Puis il se mit à toucher, légèrement et puis de plus en plus fort "tu sens quelque chose là ?" Je secouais la tête négativement. 
-"Tu veux dire que tu t'es battue, toi la non-violente de la famille, tu t'es battue, tu veux me faire croire ça ?"
Je lui montrais mon dos "tu vois ça ? C'est extra-terrestre, c'est un crachat d'insecte géant !"
-"Tu rigoles... c'est un poisson d'avril, c'est ça ?"
Il fallut toute ma patience pour lui faire entendre raison, il croyait à une blague et même en faisant semblant de croire, il n'était pas persuadé à 100 %. 
- "Mais, il faudra un genre de code, ajouta-t-il en souriant, pour les fois où tu seras absente un grand moment. Parce qu'ils peuvent venir n'importe quand,  et il faut bien s'occuper des enfants et si tu me dis "je pars dans l'espace, pas sûr que je comprenne...""
-" Moque-toi, n'empêche quand je t'enverrai un sms avec Strange dedans, tu sauras que je ne suis pas là pour un moment. Je ne peux pas emmener mon téléphone avec moi et pas sûre que ça capte partout !"
   J'en avais soupé de son sourire en coin et la discussion s'arrêta sur "quoi qu'il en soit, moi, j'ai une mission à accomplir et il faut que je parte où je vais être en retard !" et il fila à la mairie auprès de sa secrétaire et des courriers à signer.
  Je fumais de rage et en même temps, je me demandais bien ce que j'aurais pu répondre à "et ils ressemblent à quoi tes soi-disant héros ?", du beau gosse à tous les étages, c'était dur à cacher...
   Les mois qui suivirent furent calmes, très calmes, trop calmes, je finis par me demander si je n'avais pas rêvé. Et puis un jour, alors que mon armure avait récupéré sa couleur d'origine et probablement toute sa puissance, un discret "toc, toc" vint troubler la routine de mes journées. J'ouvris la porte d'entrée pour y  découvrir Thor en habit ordinaire "My lady, we need you", dit-il en anglais. Enfin, pensais-je avec joie.