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Le hêtre et les hommes

Je suis un hêtre centenaire, j’en ai vu passer des essences autour de moi. J’aimais tout particulièrement discuter avec un jeune buis fougueux. Sur l’internet des arbres, à travers les racines et les réseaux arboricoles, nous avions de longues discussions. Une fois, je l’ai mis au défi de faire pousser une branche plus longue que les autres sur le dessus de sa tête, qu’est-ce que nous avions ri en voyant la tête de notre propriétaire. Évidemment, il l’avait aussitôt coupée, c’était un homme gentil, mais rigide en matière de symétrie. Mon cher compagnon est mort après une dizaine d’années, suite à l’assaut répété de pyrales tous les ans.

 J’ai vu des essais de jardin à l’anglaise ou à la française, l’emploi de pesticides, d’herbicides et autres produits infâmes qui me faisaient tousser des heures durant. Une fois, il y a eu une tentative de permaculture, mais cela demande un investissement un peu différent et ça n’a pas duré. J’ai vu aussi les insectes changer, de nouvelles races plus agressives, très malpolies et peu respectueuses, ont poussé les espèces endémiques à disparaître et nous abandonner.


Cela fait longtemps que le jardin est à livré à lui-même, mais hier j’ai eu de l’espoir. La nouvelle propriétaire, si l’affaire se conclut, m’a parlé. Je n’en étais pas certain, c’était étrange d’entendre cette voix en dehors du réseau, saturé depuis que le jardin est redevenu sauvage. Elle avait une voix douce et calme, et, il me semble qu’elle m’a dit qu’elle mettrait un peu d’ordre dans ce jardin, mais toujours en demandant la permission avant. Se pourrait-il que les hommes aient évolué plus que je ne l’aurai cru pendant toutes ces années d’isolement ?

La chanson

On aime toujours la fin du printemps
On refait son jardin potager
On voit pousser les premières fleurs
L'air embaume de diverses senteurs
Et on ne s'énerve pas encore 
Contre les escargots
Limaces
Araignées
Mouches
Et moustiques,
Mais on s'extasie des premières
Coccinelles...

On aime à nouveau sortir,
Sentir le soleil sur sa peau
Sans qu'il soit agressif encore ;
Même la pluie,
Qui plaque le pollen
Au sol, 
Est une bénédiction.

Mais par dessus tout,
Ce sont les arbres
Qui se réveillent.
Ils se parent de leurs plus beaux atours
Vert, vert tendre, vert profond,
Accueillent avec bienveillance
Les oiseaux sifflotant les dernières nouvelles
Et chantent à tue tête 
Au moindre souffle de vent 
Leur joie de reverdir :
Le troène bruyant 
Le mimosa discret
Le lilas à peine entendu
Le charme apaisant
Le hêtre vénérable
La laurière rieuse;
Toutes ces voix diverses 
Se mêlent aux anciens platanes
Qui roucoulent le jour
Et hululent toutes les nuits.

L'invasion

L'imagination peut être comme un airbag
Salutaire
Protectrice
Enveloppante
Se loger au sein des souvenirs
Quand dehors tout est gris
Sentir la chaleur du feu de bois
L'odeur des crêpes cuites
La douceur de la vie...

Mais c'est aussi un bibendum
Encombrant
Etouffant
Stérile
Qui, lorsqu'il se dissipe,
Fait ressentir
La lourdeur cuisante
De la dure réalité

S'endormir dans les bras
D'un tendre amant, 
Attentif, doux, aimant
Et se réveiller 
Au son des ronflements
De son homme

Vaincre des dragons,
Des sorcières,
Survivre à de rudes batailles
Et ne pas arriver 
A être à l'heure 
Avec un simple enfant...

Quelque fois, c'est elle qui prend 
Le dessus
Sur les jours mornes 
Et en un quart de secondes
Vous ne parlez plus 
De la journée qui attend 
Votre fils
Vous sauvez des flammes 
Un célèbre acteur
Qui deviendra
Votre ami 
Et vous en oubliez presque
De tourner au bon endroit

Ou vous abandonnez toute idée 
De ménage
Au profit 
D'une bataille épique
Contre Lucifer lui-même
Et les journées s'enchainent
Toutes plus difficiles
Jusqu'à ce qu'un simple
Exercice,
Une lucidité soudaine,
Vous fasse connecter
A nouveau avec votre réalité

Qui s'étonnera alors
Que Matrix résonne 
Si fort en moi...