Je suis un hêtre
centenaire, j’en ai vu passer des essences autour de moi. J’aimais tout
particulièrement discuter avec un jeune buis fougueux. Sur l’internet des
arbres, à travers les racines et les réseaux arboricoles, nous avions de
longues discussions. Une fois, je l’ai mis au défi de faire pousser une branche
plus longue que les autres sur le dessus de sa tête, qu’est-ce que nous avions
ri en voyant la tête de notre propriétaire. Évidemment, il l’avait aussitôt
coupée, c’était un homme gentil, mais rigide en matière de symétrie. Mon cher
compagnon est mort après une dizaine d’années, suite à l’assaut répété de
pyrales tous les ans.
J’ai vu des essais de jardin à l’anglaise ou à
la française, l’emploi de pesticides, d’herbicides et autres produits infâmes
qui me faisaient tousser des heures durant. Une fois, il y a eu une tentative
de permaculture, mais cela demande un investissement un peu différent et ça n’a
pas duré. J’ai vu aussi les insectes changer, de nouvelles races plus
agressives, très malpolies et peu respectueuses, ont poussé les espèces
endémiques à disparaître et nous abandonner.
Cela fait longtemps que
le jardin est à livré à lui-même, mais hier j’ai eu de l’espoir. La nouvelle
propriétaire, si l’affaire se conclut, m’a parlé. Je n’en étais pas certain,
c’était étrange d’entendre cette voix en dehors du réseau, saturé depuis que le
jardin est redevenu sauvage. Elle avait une voix douce et calme, et, il me
semble qu’elle m’a dit qu’elle mettrait un peu d’ordre dans ce jardin, mais
toujours en demandant la permission avant. Se pourrait-il que les hommes aient
évolué plus que je ne l’aurai cru pendant toutes ces années d’isolement ?