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Les néréides 2

En un mois, les deux enfants avaient atteint une taille adulte, leurs jambes s’étaient transformées en une queue écailleuse, qui se terminait non pas en une nageoire, mais s’étirait de façon disproportionnée en une sorte de fil presque aussi long que leur corps tout entier. Les parents, effondrés, n’avaient rien pu faire pour enrayer cette transformation. Ils n’avaient averti personne et se contentaient d’observer l’évolution de ces enfants et de les soutenir du mieux qu’ils le pouvaient. Ils déménagèrent dans une villa près de la mer, située dans une crique à l’écart, très difficile d’accès. Les « enfants » nageaient toute la journée, leur « fil » caudal leur permettait de se saisir avec une extraordinaire facilité de toutes sortes d’objets et d’animaux. Leur dextérité croissait, ils avaient fini de grandir, leurs visages redevenaient harmonieux et presque humains. Les parents passaient la majeure partie de leur temps dans l’eau à les surveiller, même s’ils étaient totalement impuissants.

Le premier fait, qui les fit douter des intentions de leur progéniture à leur égard, les laissa hagard sur la plage. Les « enfants », sans aucune provocation de leur part, s’étaient mis à leur serrer le cou sous l’eau avec leur queue filiforme, comme ça, juste pour voir s’ils pourraient le faire, si leur parent arriverait à survivre, se débattrait, tenterait quelque chose… Ils s’étaient mis eux aussi à expérimenter des choses sur leur parent. De loin, alors qu’ils voyaient leur parent se redresser sur la plage au sec, ils avaient eu cette phrase étrange : « les cellules ne se détruisent pas, elles fusionnent… » Dès lors, le couple comprit qu’il ne s’agissait plus là de leurs enfants, qu’ils avaient été remplacés par quelque chose d’autre, par une entité bien supérieure, quoique immature dans bien des domaines. Ils ne rentrèrent plus jamais dans l’eau et se munirent par précaution d’armes à feu. Les jours suivants, ils virent non plus deux têtes émergées au loin, mais quatre, puis huit : ils se reproduisaient ! Curieusement ces êtres cherchaient toujours à communiquer avec leur parent, ils avaient, semblait-il, besoin de temps en temps de conseils et d’une apparence d’amour. Mais ces recours restaient épisodiques et fugaces, les parents craignaient énormément les réactions de ces monstres à la psychologie méconnue et fragile. Ils étaient dans une impasse et ne voyaient que faire : avertir les gens du danger potentiel, ne rien dire, partir pour s’éloigner au mieux de ces monstres… toutes les possibilités semblaient justes et d’égale importance. A la longue, ils avaient fini par déceler des clans au sein du nouveau groupe : majoritairement, ils semblaient avoir adopter un mode de vie pacifiste, bien que les femelles dominent incontestablement les mâles. Mais certaines d’entre elles semblaient plus fragiles, plus impressionnables et elles arrivaient souvent au bord de la plage en gémissant des phrases incompréhensibles : « Peur… il fait noir ! peur… » Ce groupe là acceptait plus facilement de se confier aux scientifiques, il était demandeur d’attentions et sensible aux consolations. Par leur biais, le couple arrivait la majeure partie du temps à déjouer les tentatives les plus hardies pour sortir de la crique et tenter le contact avec d’autres hommes dans la ville voisine. Au fil des générations, ils avaient observé que les caractéristiques physiques des monstres se démarquaient de plus en plus du côté poisson, les tous derniers nés avaient même retrouvé l’usage de leur jambe sur la plage. 

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